Vote sarkozy ?
AVANT DE VOTER SARKOZY...
Lettre à un(e) ami(e) de droite ou du centre
Cher(e) ami(e),
Le second tour approche et tu t'apprêtes à voter
pour Nicolas Sarkozy. Tu préfères d'énergiques
réformes libérales aux compromis sociaux-démocrates.
Sans doute es-tu attaché(e) aussi à des valeurs
morales, à des conceptions sociales ou politiques plus
traditionnelles que celles que professe une certaine
gauche.
De plus, par ailleurs, tu n'es pas convaincu(e)
qu'une personne comme Ségolène Royal puisse
valablement exercer la présidence. A vrai dire, moi
non plus. J'ai moi-même reçu des témoignages de sa
légèreté intellectuelle et d'un caractère autoritaire
que ne masquent pas, à mes yeux, ses incantations à la
"démocratie participative".
Néanmoins, mes craintes sur une présidence de
Sarkozy sont plus grandes encore. Je voudrais les
partager avec toi - en dehors de tout esprit partisan
- avant que tu ne lui donnes ta voix.
Les réformes
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Je prête volontiers à Nicolas Sarkozy des vraies
convictions libérales en économie. Bien plus qu'un
Chirac ou un Villepin, il s'engagera comme l'homme
d'une rupture par rapport au modèle que nous
connaissons. (Le récent infléchissement de son
discours, devenu presque ouvriériste, traduit
probablement une posture électorale plus qu'un réel
changement d'intention ; sinon, d'ailleurs, pourquoi
voterais-tu pour lui ?)
Hors de tout débat sur les bienfaits ou méfaits du
libéralisme, le problème est dans la méthode
qu'emploierait Sarkozy. L'homme n'a rien d'un indécis
mou à la Chirac ni d'un guide rassembleur à la de
Gaulle ; il n'a pas l'intelligence du dialogue ni le
sens du compromis d'un Rocard ou d'un Bayrou. Le
risque est qu'il tente de faire passer ses réformes
avec plus de brutalité que d'habileté, qu'il suscite
trop d'antagonismes et soulève d'irréconciliables
oppositions.
Peut-être, avec beaucoup de chance, arrivera-t-il à
faire passer certaines réformes pendant ses 100
premiers jours, sans coup férir, grâce à une forte
pression médiatique. Mais il est possible aussi que
l'affaire finisse comme celle de Juppé en 1995 ou du
CPE en 2006 : à force d'être - au mieux - "droit dans
ses bottes" ou - au pire - de vouloir "karchériser"
ses opposants, il risque de soulever une moitié de la
France contre l'autre. Le pays serait bloqué tout
comme les réformes qui finalement ne passeraient pas,
ou passeraient au prix de lourds compromis.
Les institutions
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Sur les institutions et les médias, il n'est pas
question de doutes, mais d'une quasi-certitude : une
présidence Sarkozy provoquerait d'importants
déséquilibres.
De façon quasiment inéluctable, Sarkozy disposera,
s'il est élu, de pouvoirs hégémoniques :
- à l'Assemblée nationale, l'UMP et les ralliements
opportunistes lui conserveront probablement une
majorité absolue ;
- le Sénat est à droite et ne risque pas de changer ;
- des institutions très importantes comme le Conseil
constitutionnel ou le CSA ont été "verrouillées" à
droite pour longtemps.
Si Ségolène Royal est élue, en revanche, seule
l'Assemblée pourrait lui être acquise, et encore.
Une telle hégémonie poserait un problème
démocratique pour trois raisons :
1. Personnellement et psychologiquement, Sarkozy aura
probablement tendance à concentrer un maximum de
pouvoir entre ses mains.
2. Il y aura peu ou pas de réformes institutionnelles
destinées à rééquilibrer les pouvoirs (1).
3. Cette hégémonie institutionnelle sera renforcée par
une forte influence ou diverses formes de contrôle sur
les médias.
Les médias
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Si Nicolas Sarkozy est tellement présent, depuis
quinze ans, sur la scène médiatique, ce n'est pas
seulement du fait de son réel talent de communicateur.
C'est qu'il bénéficie du soutien intéressé de
puissances économiques qui contrôlent ou influencent
les médias : notamment celles de Martin Bouygues (son
"ami"), Arnaud Lagardère (son "frère"), Bernard
Arnault (témoin de son mariage avec Cécilia) et Serge
Dassault (ex-chiraquien récemment converti).
Ces personnes ne font aucun mystère de leur
proximité ou intimité avec Nicolas Sarkozy . En les
additionnant, ainsi que les responsables de rédactions
"amis", on obtient une portion dominante des médias en
France. Cela ne veut pas dire que leurs rédactions
soient aux ordres. Mais l'influence est indéniable,
surtout dans les moments cruciaux. Pressions
informelles sur Paris-Match et sur FR3 et même sur le
Figaro Magazine ; parutions de livres annulées aux
éditions First (livre de Valérie Domain sur Cécilia)
ou "reportées" chez Michalon (livre de Serge Portelli
sur le bilan de Sarkozy à l'Intérieur) ; couverture
orientée dans les jités d'événements tels que la
campagne de 2002 ou les émeutes de 2005 : l'actualité
médiatique des dernières années fourmille d'exemples
de ce genre (2). Quant au récent débat Royal-Bayrou,
il est hors de doute, selon mon ami journaliste
Pierre-Olivier François, que des pressions ont eu lieu
pour tenter de l'empêcher.
Si l'on ajoute que Sarkozy tentera de contrôler,
autant que possible, les chaînes et radios publiques,
il existe un risque réel - ni fantasmagorique, ni de
propagande - de voir le paysage médiatique français
verrouillé peu ou prou comme celui de l'Italie pendant
les années Berlusconi (3).
Comme pour l'hégémonie institutionnelle, un tel
risque n'existe pratiquement pas avec Ségolène Royal.
Face aux menaces globales
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A l'échelle mondiale, au moins deux menaces pèsent
directement et gravement sur la France : les guerres
et le dérèglement climatique.
Nicolas Sarkozy est beaucoup plus atlantiste que
Chirac et a fortiori que de Gaulle. Il y a fort à
parier que, si Sarkozy avait été président, en 2002 et
2003, la France se serait engagée en Irak au même
titre que la Grande-Bretagne, l'Espagne ou l'Italie.
(La position de Sarkozy a un peu évolué depuis, mais
cela ne change rien à cette probabilité.) De même,
avec Sarkozy, la France aurait sans doute beaucoup
plus soutenu les positions israéliennes.
Libre à toi d'être attaché(e) à l'alliance
américaine et de te soucier de la sécurité d'Israël.
Mais les intérêts de ces Etats ne sont pas forcément
ceux de la France, surtout quand leurs gouvernements
s'engagent dans des aventures. C'est pourquoi
l'alignement auquel pourrait nous conduire Sarkozy ne
serait peut-être pas une bonne chose pour la France
(4).
Quant aux questions environnementales, elles sont
évoquées en bonne forme dans le projet Sarkozy, et je
ne doute pas qu'il prendra certaines mesures utiles.
Mais cette problématique est plus profondément et sans
doute plus sincèrement intégrée au projet de Ségolène
Royal (5). Non seulement pour des raisons politiques,
mais aussi de sensibilité personnelle. Il y a quelques
mois, j'ai été consterné d'entendre Sarkozy discourir,
parfois très longuement, à la télévision, sans même
évoquer les questions écologiques. Il venait pourtant
de signer le pacte écologique de Nicolas Hulot !
Questions de personnes
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On accuse communément Nicolas d'une ambition
obsessionnelle, d'une démagogie débridée, d'un
tempérament agressif, d'une excessive intolérance
politique. Michel Onfray rapporte, de son entretien
avec Nicolas Sarkozy, des traits de caractère
inquiétants (6)... mais on peut dire aussi beaucoup de
choses sur Ségolène, pas moins démagogue et qui donne
parfois l'impression de se prendre pour Jeanne d'Arc.
Reste que Nicolas n'est pas un exemple d'intégrité
personnelle (pas plus qu'un Mitterrand ou un Chirac,
mais moins sans doute que Ségolène). Quant à son
discours de rassemblement, de compassion et de
protection pour les faibles, au soir du 1er tour,
quelle hypocrisie ! En ont témoigné récemment, entre
autres, la chasse aux clandestins devant les portes
des écoles et le peu de cas qu'il a fait des malades
du sida (7).
D'autant qu'il n'y a pas que les candidats. Il y
aussi leur entourage. On peut certes être agacé par
les éléphants du PS, leur hypocrisie, leur arrogance
ou leur dogmatisme. Mais autour de Sarkozy, il y a une
bande d'affairistes notoires : des amis proches
condamnés pour corruption (active et passive) tels que
Patrick Balkany, d'autres anciens bras droits de
Charles Pasqua dans les Hauts-de-Seine, ou encore
Gérard Longuet (le Lorrain) et, plus récemment,
Bernard Tapie. De ces personnages se dégage une odeur
de berlusconisme, au sens d'un affairisme et d'une
opacité qui ne sont bons ni pour la démocratie ni pour
la vie économique.
Dans le doute, abstiens-toi !
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Pour toutes ces raisons, je te suggère de ne pas
voter pour Nicolas Sarkozy. Evidemment, tu
contribuerais ainsi directement ou indirectement à la
victoire de Ségolène Royal, et je sais qu'il est
difficile de te convaincre d'agir ainsi. Mais
regardons de plus près : quels seraient les vrais
risques, d'un point de vue de droite ou du centre,
avec Royal ?
Pour les équilibres démocratiques en France,
j'espère t'avoir convaincu(e) que l'élection de
Ségolène Royal serait plutôt une bonne chose. En
politique internationale et environnementale, il y
aurait, sans doute, le risque d'une certaine légèreté,
mais aussi l'espoir d'un léger mieux (ou d'un moins
pire) sur des questions importantes.
Au plan des valeurs, ta préférence va généralement à
la droite. Mais reconnais-le : entre le redressement
de la jeunesse, la restauration de l'autorité et les
manifestations éclatantes de patriotisme, l'écart
entre les deux candidats s'est estompé.
En termes de personnalités, on ne peut pas dire que
Ségolène et son entourage, malgré tous leurs défauts,
soient pires que Nicolas et ses amis.
Reste, bien sûr, une incontestable différence du
point de vue économique et social. Incontestable, mais
pas radicale. D'une part, parce que le positionnement
de Ségolène Royal est plutôt de centre gauche, voire
blairiste. Il est à parier que la politique économique
de son gouvernement ne sera pas plus "anti-libérale"
que celle de Fabius en 1984, Rocard en 1988, Bérégovoy
en 1992 ou Strauss-Kahn en 1997. D'autre part, parce
que rien ne prouve que Nicolas Sarkozy, s'il est élu
et si "rupture libérale" il y a, parviendra à ses
fins.
NOTES
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1. Dans son projet, Nicolas Sarkozy n'évoque qu'un
"renforcement des pouvoirs de l'opposition au
parlement" ; Royal et Bayrou sont, à cet égard, plus
profonds et sans doute sincères.
2. Livre sur Cécilia :
www.lexpress.fr/info/quotidien/actu.asp?id=1200
Livre sur le bilan Sarkozy :
www.bigbangblog.net/article.php3?id_article=594
Pressions médiatiques en général :
www.liberation.fr/actualite/politiques/elections2007/250581.FR.php
et
www.marianne-en-ligne.fr/e-docs/00/00/5C/66/document_article_marianne.phtml
3. Le programme de Royal et celui de Bayrou
contiennent des mesures destinées à renforcer le
pluralisme dans les médias. Le projet de Sarkozy n'en
dit mot. Ce n'est pas un hasard.
4. La plupart des pays excessivement "alignés",
d'ailleurs, en reviennent. De nombreux alliés des
Américains en Irak ont fait défection. Aux Etats-Unis
mêmes a ressurgi le débat sur les divergences
d'intérêts avec Israël et sur l'opportunité d'un
soutien si fort à cet Etat.
5. Regroupées en une "Alliance pour la planète",
diverses associations écologistes ont comparé, avec
beaucoup de sérieux, les programmes des candidats. Les
résultats sont sans appel : Royal 16/20, Sarkozy
8,5/20.
www.lalliance-2007.org
6.
http://michelonfray.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/04/03/le-cerveau-d-un-homme-de-droite.html
; voir aussi l'article de Jean-François Kahn sur la
"folie" de Nicolas Sarkozy, malheureusement sous la
forme d'un pamphlet peu documenté, dans Marianne du
14-20 avril 2007
www.marianne2007.info/-Le-vrai-Sarkozy-en-acces-libre-!_a1180.html?HPSESSID=38b1df2665e8122f4946b5fefe3019b5
7.
www.aides.org/presse/communiques/propos-reponses-sarkozy.php
Vote sarkozy ? | 3 mai 2007
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